Si le fait d'écrire des romans, il est vrai, puise sa source dans l'imaginaire, il n'en est pas pour autant une discipline méthodique et structurée qui respecte des règles et des codes.
Se lancer dans la rédaction d'une histoire qui flotte dans mon esprit (jusqu'à me hanter au point de m'en ôter de nombreuses heures de sommeil) n'est pas quelque chose que je prends à la légère.
L'exercice de la rédaction de mes textes n'est en rien la divagation de mon esprit, pas plus que le vagabondage de mes idées et en aucun cas je ne me laisse entrainer par le courant de l'histoire ou la puissance des personnages.
En effet, avant que mes doigts ne se mettent à pianoter sur mon orgue Microsoft, il s'en écoule des jours, des semaines, plusieurs mois même, de réflexions, de construction, d'élaboration, d'élucubrations et surtout de recherches...
Autopsie de la naissance d'un roman
Il y a l'idée qui surgit tout d'abord. Qui s'impose sans que je sache pourquoi. Elle gravite un temps puis grandit, s'étoffe. Jusqu'à ce que je comprenne qu'une nouvelle histoire prend forme, subrepticement presque de manière autonome.
Alors, je m'y arrête, l'apprivoise, l'observe, l'accueille puis l'accepte.
Prenons pour exemple, le cas de mon dernier roman "Ailleurs, c'est forcément mieux". L'idée est née dans les derniers frimas de l'hiver 2016, cet hiver à rallonge qui n'en finissait pas. Je pensais sans cesse à ces fenêtres éclairées la nuit aux chaleureuses promesses . Que s'y passait-il derrière ? Qui y vivait ? Quelle famille ? Quel bonheur ? Puis la réflexion a glissé, lentement... Pourquoi imagine-t-on dans ces lucarnes un monde fabuleux, très différent du nôtre... J'ai pensé à ces gens qui pensent que la vie des autres est souvent meilleure que la leur... Qu'Ailleurs, c'est forcément mieux.
La suite s'est construite au fil des jours. Qui ? Pourquoi ? Où ? Dans que but ? Quelle intrigue ? Avec quel fil conducteur ? Quels personnages ? Quels caractères ? Quels évènements ? Quelles passions... ?
Le personnage secondaire dans ce roman, Adriano, est la clef de voûte. Le levier, le révélateur,
D'origine espagnole, j'ai souhaité teinter l'ensemble de mon histoire de cette culture (A commencer par La Bande Originale du Livre).
Adriano évoque sa ville natale, détaille son amour de la corrida (aux antipodes de mes convictions, donc je vous laisse deviner à quel point le chapitre consacré a nécessité grand nombre de recherches et d'échanges avec un aficionado pur et dur, et combien la rédaction en a été douloureuse... Peut-être un autre sujet d'article : pourquoi s'imposer des challenges dans chaque roman ? )
Son pays donc, la tauromachie et surtout, sa grande passion pour le tango...
Le tango argentin
Bien sûr, j'ai lu des textes et regardé des vidéos ; des exhibitions, des concours, des reportages... Bien sûr. Comme je fais chaque fois. Pour l'anecdote, je me souviens du No-kill, pêche sportive où l'on rejette les poissons vivants à l'eau, que pratiquait assidument le beau Camille dans "La vie rayée". (Assurément, il est des sujets plus agréables que d'autres ! Il est vrai que j'ai éprouvé beaucoup plus d’intérêt à échanger sur le métier de "voix" avec la doublure de Tom Hanks ou Tyrion dans "Game of Thrones" alias Constantin Pappas que de passer deux journées entières plongée les tutos de you tube à visionner des types pêcher !)
Mais cette fois, pour le tango argentin, cela ne me suffisait pas. Je voulais voir, assister, ressentir, discuter, lire en vrai le plaisir sur les visages de ces passionnés.
J'ai alors contacté une école de danse sur Bordeaux : Rythmes & Cie, j'ai expliqué mon projet et les deux professeurs, Chloé Guêze et Michaël Poujouanine, m'ont accueillie avec chaleur et enthousiasme au sein de leurs cours. Quel immense plaisir que de découvrir ce monde fascinant. Subjuguant. La phase de recherches est également incontestablement une source de belles rencontres.
Et grâce à eux, un chapitre est né...
Extrait :
" Le cours précédent n’est pas encore terminé lorsque nous entrons dans la salle. La lumière est faible et une dizaine de couples dansent. Ce qui me frappe en premier est leur extrême concentration. Les visages sont graves, presque fermés, les yeux clos, les mâchoires serrées. Le haut des corps semble soudé de manière définitive. Chaque parcelle, du front jusqu’à la taille, se mélange avec celles du partenaire jusqu’à se fondre, ne faire plus qu’un.
Je reste là au milieu de la pièce transporté par la splendeur de la musique et l’intensité d’une voix suave aux contours rauques. Le piano mêlé à la contrebasse accompagne en cadence la marche désespérée du bandonéon.
La légère pression qu’Adriano exerce sur mon bras me sort de ma contemplation. Dans un mouvement de main qui se soumet déjà au rythme des notes, il me désigne un banc sur lequel je peux prendre place. J’obéis sans quitter les danseurs des yeux. J’observe leur port altier, leurs mouvements contenus, leurs jeux de jambes complexes et inattendus. Les hommes portent presque tous des chaussures bicolores en cuir souple à la semelle fine. Les femmes, elles, sont chaussées sur de hauts escarpins à l’élégante bride. Je fixe un moment toute mon attention sur leurs pieds. Ils se croisent, se chevauchent, s’appellent, se répondent puis se chassent, s’éloignent pour mieux se retrouver. Ils avancent, reculent, caressent le sol puis s’envolent sans crier gare. Je suis totalement fasciné par ce ballet savant et autonome.
(...) "
Alors, oui, bien sûr, l'imaginaire a la part belle dans l'esprit d'un auteur, mais pas que. Et même s'il est également vrai que les codes et les règles sont faits pour être digressés parfois, écrire n'est pas un exercice réalisé à l'aveugle dans l'attente d'une inspiration divine (et/ou aléatoire). C'est un travail de longue haleine, construit et fouillé, réalisé avec rigueur et constance, dans lequel on se doit d’être crédible, ne serait-ce que par respect pour le lecteur.
C'est surtout une aventure extraordinaire, une source inépuisable de bonheur qui me donne la merveilleuse sensation de repousser les murs de mon existence et de faire de moi un être meilleur.
Enfin, je l'espère...
Merci de me lire. Merci.
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bookscritics (mardi, 19 juin 2018 19:27)
Ahhh Sacha !! Super l'article, je me suis toujours demandée quelle était la place que l'auteur faisait à la recherche ! Tu viens de me donner une partie de la réponse !!!! Merci <3