N’avons-nous pas tous, un jour, souhaité réécrire l’histoire ?
C’est le pouvoir que vont s’octroyer Rose et Alfred le temps d’une nuit, faisant fi des convenances et du passé.
Un roman pièce de théâtre bouillonnant, entre rires et larmes, nostalgie et espoir, à l’humanité renversante.
Chapitre 5 : L'enfance
Rose et Alfred viennent de se rencontrer à l'enterrement d'un ami commun très cher à leur cœur. Lors de la soirée qui suit les funérailles, ils échangent à l'écart des autres.
— Et comme on dit l’histoire ne se réécrit pas, jamais. Il faut faire avec ce qu’on a ! Quel autre choix ? s'interrogea Rose.
— Et c’est bien dommage, souligna Alfred. Vous imaginez, si nous pouvions réécrire notre histoire ? Changer le passé pour mieux vivre le présent ? Quel luxe !
— Quel chaos, vous voulez dire ! s’étonna Rose dans une expression éponyme.
— Pas forcément ! Par exemple, vous, que changeriez-vous dans votre enfance si vous en aviez la possibilité ?
— Je vous réponds à l’intérieur, vous voulez bien ? frissonna-t-elle de nouveau.
— Avec plaisir, je nous ressers une coupe pour réchauffer nos âmes de vieux guerriers ?
— Si vous souhaitez jouer au jeu du réécrivons l’histoire, oui, il me semble que cela va être nécessaire, l’éclaira-t-elle de l’un de ses flambants sourires.
Alfred déboucha une nouvelle bouteille de champagne, remplit deux flutes propres et leva son verre.
— Au passé futur !
— Ou au futur passé… répondit-elle avec esprit.
— Alors, je vous écoute, que changeriez-vous ?
Rose prit place sur l’un des hauts tabourets. Sous sa longue robe noire de laine, elle croisa ses jambes avec grâce et ses plaça sur le côté. Elle but une gorgée puis débuta.
— Pour commencer, je ne serais pas née dans les Côtes-d’Armor, enfin à l’époque le département s’appelait encore Côtes-du-nord. Tout est dit ! Je suis une frileuse invétérée ! Quel genre de dieu vous punit de la sorte à peine sortie du ventre de votre mère ?
— Et où seriez-vous née ?
— Dans le sud ! J’aurais voulu être comme tous ces gens qui parlent comme ils chantent et qui vivent à demi nus la moitié de l’année !
— Et auprès de qui auriez-vous grandi ? poursuivit Alfred.
— Auprès de vous. De Jean…
— Et de qui d’autres ?
— D’une mère normale, aimante, avec les deux pieds dans la vie réelle. Ni dépressive, ni alcoolique, ni exubérante, ni Parisienne, ni juive, ni fille de déportée gazée à Birkenau, ni colérique, ni suicidaire, ni folle. Et d’un père heureux, joyeux, bavard, farceur. Et surtout avec un métier normal, je ne sais pas moi, pêcheur, agriculteur, ouvrier… comme tous les autres pères !
— Que faisait le vôtre ?
— Notaire.
— Vous êtes une bien étrange personne, Rose… but à son tour une gorgée, Alfred.
— Vous m’avez demandé de jouer… Je joue, leva-t-elle ses deux paumes vers les poutres de la cuisine.
— Quoi d’autre ?
— J’aurais eu des frères et sœurs. Trois ! Et mes parents auraient vécu sous le même toit. Nous aurions habité tous les six dans une petite maison au cœur d’un village, non loin de celle de ma grand-mère. Je n’aurais pas été obligée de rendre visite à ma mère tous les mercredis et dimanches après-midi pour le goûter dans son appartement aussi sombre que la mort, qui empestait la cigarette, le camphre et le renfermé. Je n’aurais pas eu à subir ses foudres de colère sur tout et sur rien. Sur la pluie, les voisins, les nazis, les péquenauds du bourg, mon pauvre père, la Troisième République, la Quatrième République, la Cinquième République… Ma grand-mère illettrée, mes robes mal repassées, mes cheveux mal peignés, les nouveaux chanteurs qui ne savaient pas chanter, les nouveaux hommes politiques qui ne savaient pas gouverner…
— Vos parents étaient divorcés ? s’étonna Jean. C’était chose rare pour l’époque.
— Non. Disons que ma mère avait une idée bien à elle de la notion de mariage… Elle avait seulement décidé de vivre ailleurs que dans la demeure que lui avait offerte mon père pour leurs noces. Moins d’une année plus tard, elle avait insisté pour qu’ils achètent un appartement face à la mer dans une station balnéaire voisine qui avait connu ses heures de gloire dans les années vingt. Elle disait que ce serait bien de se réveiller avec le bruit des vagues pendant les vacances… Ils y sont allés, ensemble au début, puis elle y est allée de plus en plus souvent, seule, et a fini par s’y installer. Les présumées vacances ont duré le reste de sa vie…
— Et vous ?
— Quoi moi ? interrogea surprise Rose, comme si son sort n’avait rien eu jamais à voir avec celui de sa mère.
— Qu’a-t-elle fait de vous ?
— Ma mère n’était pas de ces femmes à se soucier des contingences ménagères. À ses yeux, je n’en représentais qu’une supplémentaire qui venait s’ajouter à la longue liste pénible des contraintes liées au mariage. Elle me laissait avec mon père et ce dernier, bien emprunté, me confiait à ma grand-mère.
Rose s’interrompit pour réclamer une nouvelle coupe de champagne. Alfred s’exécuta.
— Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout cela. Tous ces vieux souvenirs n’amènent jamais rien de bon, croyez-moi. Je ne les évoque jamais habituellement, j’ai bien peur que le champagne me soit monté à la tête ! s’essaya-t-elle à un trait de futilité.
— Parce que je vous y ai invitée… J’aime connaître le passé des gens que j’apprécie. Je trouve que sans notre passé, nous ne sommes que peu de choses.
— Je partage votre avis, mais il est des souvenirs qu’il ne fait pas bon faire rejaillir à la surface. Voyez-vous, j’ai construit toute ma vie en réaction à ce passé, justement. Tous mes choix n’ont été qu’une succession d’opposition à ce que j’avais connu. Il nous détermine il est vrai, mais il entrave aussi.
Alfred se contenta de hocher lentement la tête en guise de réflexion.
— Et vous ? reprit-elle.
— Et moi quoi ? Comment j’ai bâti ma vie ? À l’inverse de vous… J’ai été un gamin tellement heureux que j’ai couru toutes mes années d’adulte après ce bonheur perdu. Je ne sais qu’aujourd’hui que c’est là, une quête bien vaine… Si vous pensez que l’histoire ne se réécrit pas, pour ma part, je pense que le passé ne se revit malheureusement pas.
— Ça fonctionne effectivement dans les deux sens, vous avez raison. La dure loi du présent, de la réalité, du temps… Puis-je me montrer curieuse à mon tour ?
— Je vous en prie…
— Lorsque vous dîtes, heureux dans votre enfance, vous voulez dire heureux à quel point ?
Elle portait sur son visage l’expression innocente d’une enfant qui ouvrait une fenêtre sur un monde nouveau.
— Farouchement heureux ! Chaque matin, je sautais de mon lit prêt à conquérir le monde avec appétit et frénésie. J’avalais des tartines de confiture de figue au soleil de notre terrasse en compagnie des grillons et des ritournelles de ma mère – elle chantait du matin au soir mais toujours en espagnol – je cavalais jusqu’à l’école où entre les récréations, j’écoutais des maîtres qui me passionnaient pour leur immense savoir, je cavalais dans le sens inverse sitôt la sonnerie retentie pour rejoindre mon père dans ses champs. On goûtait du raisin et du bon pain, je lui racontais ma journée, il me racontait le monde… Et puis on rentrait ensemble à travers les vignes avec les chiens qui couraient tout autour de nous en jappant de bonheur. C’était la liberté. La liberté tout le temps. Partout, dans le village, à la maison, au mas de mon grand-père, perdu au milieu de la garrigue, où nous allions chaque dimanche faire des brasucades avec les amis, des parties de boules à n’en plus finir, des siestes à l’ombre des petites chênes verts. C’était l’insouciance, la joie, la simplicité, le bonheur d’être ensemble, le bonheur de vivre, celui de s’aimer…
Rose lorsqu’on lui contait le bonheur, avait toujours cette irrépressible envie de pleurer. Parce que c’était beau et parce que ça ressemblait à une terre promise qu’elle n’atteindrait jamais. Alfred devina cette complexité qu’opposait la brillance de ses yeux à la douceur de son sourire.
— Malgré tout le merveilleux d’une telle enfance, j’ai bien peur que ce ne soit qu’un terrible cadeau empoisonné… confessa-t-il.
Rose lui adressa un regard d’incompréhension. Comment pouvait-on dire une chose pareille ?
— Arrivé à l’âge adulte, je me suis retrouvé bien peu armé pour affronter le monde… Ce sont les embûches, les déceptions, les obstacles, les peines, les échecs qui arment. Moi, je n’en avais connu pour ainsi dire aucun. Mon existence n’a ensuite été qu’une longue et laborieuse bataille pour essayer de faire face à tout ce à quoi je ne m’attendais absolument pas. Et à regretter l’enfance… À m’acharner à essayer de la retrouver par tous les moyens…
Rose n’avait jamais envisagé les choses de cette façon. Ses réflexions la bouleversaient. Elle y réfléchirait plus tard de manière plus approfondie, seule. Elle pressentait que dans cette idée, se cachait une clef.
En fait, nous avons eu des enfances à contre-sens… entérina-t-elle. J’ai toujours envié Jean pour la joie de vivre qu’il représentait. Je savais qu’il grandissait au sein d’une famille unie où l’amour était le maître mot, à part son abruti de frère, bien évidemment… En fait, ce n’est pas que je l’enviais, non, je l’admirais. Comme un modèle, quelque chose d’inatteignable. Jean, il riait tout le temps, il avait toujours une idée qui bousculait l’autre ! Moi, je me sentais si seule, si inutile, pesante même…. Mais à ses côtés, c’était différent. Jean, il vivait pour deux ! Pour toutes ces raisons, je l’ai toujours pensé plus chanceux, plus armé comme vous dîtes, plus fort que moi. Avec ce que vous venez de me confier, je me dis que j’ai peut-être fait fausse route…
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