Découvrez un extrait issu de "Griffures", un recueil de textes sur les âmes giflées par l'existence.
Nostalgie
"Est-ce ma faute à moi si c’est toujours une autre époque qui résonne en moi ?
Les bals du 14 juillet
Les lampions, les flonflons, l’accordéon
Les valses, les javas, les pasos
Les citronnades, les guignolets, les menthes à l’eau
Les blousons noirs, les loubards, les belles pépées
Et les baisers volés sous un ciel étoilé…
Les dimanches à la campagne
Les pique-niques en bord de Marne
La nappe à carreaux, les verres à numéros
Les déjeuners de famille qui s’éternisent
Les canards, la poire, les digeos
Et la sieste à l’ombre des bouleaux…
Le tic-tac de l’horloge, les patins pour le parquet
L’odeur de cire sur les vieux meubles
La brillantine, la naphtaline, les lampes Berger
Les cols soigneusement amidonnés
Les portes-chaussettes, les combinettes
Et les pâtes de fruits de mémé Paulette…
La compagnie des chemins de fer
Le poinçonneur, le compartiment fumeur
Le rémouleur, le colporteur, le réveilleur
Le chiffonnier, le charbonnier, l’égoutier
La gouaille des petits vendeurs à la criée
Du matin au soir que l’on entend, sur les pavés, s’égosiller…
La droguerie, le grainetier
La tripière, la lavandière
Les bas couture, les gitanes filtres,
Le pot à lait et les œufs frais
Le trousseau de la mariée, les draps brodés
Et ce joli mari gominé épousé pour la vie…
Les belles assiettes, le service à thé
Le vin de table, celui étoilé
Le tapioca, les entremets, le riz au lait
Faire chabrot dans la soupe à l’oignon
Le saindoux et la Végétaline
Le gâteau roulé de Mamie, celui avec la margarine
Les canevas encadrés, les napperons sur le buffet
Les cerises à l’eau de vie, les fillettes de Muscadet
Les coupes en cristal, rouge, bleu, jaune, vert
Et les incontournables biscuits à la cuillère
Le garde-champêtre, les chansons populaires
Les jardins ouvriers et le litron qui désaltère…
L’annuaire, le frigidaire, l’abécédaire
La cireuse et le moulin à café
Les ronds de serviette, les porte-couteaux
Les bols bretons, avec les prénoms
Les colliers de nouilles, les guirlandes crépon
Et les interminables buffets froids des communions…
Le téléphone à cadran
Le transistor, le poste de télé
La mire et les époux Carpentier
Les Shadocks, la réclame, les speakerines
Le mange disque et les soirées diapos
Tata Gigi et les blagues de tonton Polo…
L’éducation physique, la gymnastique
Les règles en fer, les planisphères
Les bons points, les « Au coin »
Le savon au mur, le plumier, l’encrier,
La vilaine blouse, les protège-cahiers
Et le premier amour sur les bancs d’écoliers…
Les garnements, les punitions, les félicitations
Les mots d’absence, les additions, les soustractions
Les toupies, les billes, les osselets,
Les jeux de quilles, les bilboquets
Les jouets mécaniques fantastiques que tous adorent
Et cette poésie dont on se souvient encore…
Les jours de foire, la fanfare, les pétards
La pêche aux canards, le jeu cruel de la tête à l’oie
La ronde multicolore des chevaux de bois
La retraite aux flambeaux, les tombolas, les lotos
Les guimauves et les pommes d’amour,
Et la grande roue qui fait le rouge aux joues…
Le biclou, la guimbarde
Les gonzes, les gus, les blases
Le béguin, le turbin, la miche de pain
Les arpètes, les biaiseuses et Paquin
Les ronds-de-cuir, les cols-blancs
Et le syndicalisme montant…
Les hirondelles, les condés, les apaches
Les rince-la-dalle, les larcins, les vauriens
Les pinces, le panier à salade, les lascars
Les mouchards, le mitard, les taulards
Les pervenches, les pignoufs, les bonnes gens
Et ce bon vieux facteur qui avait le temps…
La pince à vélo, la dynamo,
L’unique frein, le métropolitain
Les solex, les guinguettes
Les œufs durs sur le bar
Les piliers de comptoir
Et Jojo, ancien de la légion, alcolo notoire…
Arletty, la môme Piaf et ses compagnons
Les cancans, les grands ducs, les arsouilles
Les pépettes, les grandes gigues, les frangines
Les bouis-bouis, les tapins, les michetons,
Les bouges, les troquets, les gueuletons
Et les samedis soir, au bar du Moussaillon…
Les quilles, les esgourdes et les tifs
Les arpions, les paluches et le tarbouif
Le falzar, le pépin, le gibus
Le mégotier, les charlottes, le tire-jus
Les concierges, les étrennes et tout ce qui s’en suit
Et ces marmots qui sonnent aux portes et puis s’enfuient…
Les commères, les qu’en dira-t-on,
Les bigotes, les margoulins, les mères machins
Les cocottes apprêtées, les hauts-de-forme endimanchés,
La marchande de plaisir et celle de couleurs
Les rafistoleurs de porcelaine, les rempailleurs de Belleville
Et la plainte lancinante de l’orgue de barbarie…
La voix nasillarde des actualités cinématographiques
Les films d’auteurs, les répliques mythiques
La nouvelle vague, le style Audiard
Les jeunes premiers, l’arrivée des stars
Michèle Morgan, James Dean ou Marylin
Et ces unes de Paris-Match qu’on garde en mémoire…
Les grandes vacances, la délivrance
Le sky piqueté de la banquette avant
La Ford Vedette, la nationale 7
Les cabines de plage, les maillots une pièce
Les épuisettes, les paniers à crevettes
Et cette liesse de retrouver enfin ceux que l’on aime…
Est-ce ma faute à moi si c’est toujours cette autre époque qui résonne en moi ?
Extrait de "Giffures" , Miller Editions
Un recueil de textes sur les âmes giflées par l'existence.
40 textes courts, 40 personnages
40 tranches de vie, 40 réflexions
... Des petits bouts d'existence, des morceaux de gens, de vieux souvenirs, quelques regrets, d'épouvantables douleurs, de lourds constats, une poignée d'actes manqués, des désillusions par paquet, des coups de gueules, des colères sourdes, d'autres implacables, des laissés-pour-compte, des opprimés, de beaux espoirs et bien entendu des jours meilleurs...
Car si ce recueil est loin d'être un feel good, il n'en reste pas moins un Sacha Stellie.
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